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Jacques Delille, souvent appelé l’abbé Delille, est né à Clermont-Ferrand le et est mort à Paris dans la nuit du 1er au

     LES JARDINS CHANT II

Ainsi que les couleurs et les formes amies,
Connaissez les couleurs, les formes ennemies.
Le frêne aux longs rameaux dans les airs élancés
Repousserait le saule aux longs rameaux baissés ;
Le vert du peuplier combat celui du chêne :
Mais l’art industrieux peut adoucir leur haine,
Et, de leur union médiateur heureux,
Un arbre mitoyen les concilie entre eux.
Ainsi, par une teinte avec art assortie,
Vernet de deux couleurs éteint l'antipathie.

Tu connus ce secret, ô toi dont le coteau,
Dont la verte colline offre un si doux tableau,
Qui, des bois par degrés nuançant la verdure,
Surpassas Le Lorrain et vainquis la nature. [...]

Observez comme lui tous ces différents verts,
Plus sombres ou plus gais, plus foncés ou plus clairs.
Remarquez-les surtout lorsque la pâle automne,
Près de la voir flétrir, embellit sa couronne ;
Que de variété ! que de pompe et d'éclat !
Le pourpre, l'orangé, l'opale, l'incarnat,
De leurs riches couleurs étalent l'abondance.
Hélas ! tout cet éclat marque leur décadence.
Tel est le sort commun. Bientôt les aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons
De moment en moment la feuille sur la terre
En tombant interrompt le rêveur solitaire.
Mais ces ruines même ont pour moi des attraits.
Là, si mon cœur nourrit quelques profonds regrets,
Si quelque souvenir vint rouvrir ma blessure,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la nature ;
De ces bois desséchés, de ces rameaux flétris,
Seul, errant, je me plais à fouler les débris.
Ils sont passés les jours d'ivresse et de folie :
Viens, je me livre à toi, tendre mélancolie ;
Viens, non le front chargé de nuages affreux
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux,
Mais l'œil demi-voilé, mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne ;
Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeux
Tout prêts à s’humecter de pleurs délicieux.


Jacques Delille



     LES JARDINS CHANT III

Persuadez aux yeux que d'un coup de baguette
Une Fée, en passant, s'est fait cette retraite.
Tel j'ai vu de Saint-Cloud le bocage enchanteur ;
L'œil de son jet hardi mesure la hauteur ;
Aux eaux qui sur les eaux retombent et bondissent,
Les bassins, les bosquets, les grottes applaudissent ;
Le gazon est plus vert, l'air plus frais ; des oiseaux
Le chant s'anime au bruit de la chute des eaux,
Et les bois, inclinant leurs têtes arrosées,
Semblent s'épanouir à ces douces rosées.

Plus simple, plus champêtre, et non moins belle aux yeux,
La cascade ornera de plus sauvages lieux.
De près est admirée, et de loin entendue
Cette eau toujours tombante et toujours suspendue ;
Variée, imposante, elle anime à la fois
Les rochers et la terre, et les eaux et les bois.
Employez donc cet art ; mais loin l'architecture
De ces tristes gradins, où, tombant en mesure,
D'un mouvement égal les flots précipités
Jusque dans leur fureur marchent à pas comptés.
La variété seule a le droit de vous plaire.

La cascade d'ailleurs a plus d'un caractère.
Il faut choisir. Tantôt d'un cours tumultueux
L'eau se précipitant dans son lit tortueux
Court, tombe et rejaillit, retombe, écume et gronde ;
Tantôt avec lenteur développant son onde,
Sans colère, sans bruit, un ruisseau doux et pur
S'épanche, se déploie en un voile d'azur.
L'œil aime à contempler ces frais amphithéâtres,
Et l'or des feux du jour sur les nappes bleuâtres,
Et le noir des rochers, et le vert des roseaux,
Et l'éclat argenté de l'écume des eaux.

Consultez donc l'effet que votre art veut produire ;
Et ces flots, toujours prompts à se laisser conduire,
Vont vous offrir, plus lents ou plus impétueux,
Des tableaux gais ou fiers, grands ou voluptueux ;
Tableaux toujours puissants ! Eh ! qui n'a pas de l'onde
Éprouvé sur son cœur l'impression profonde ?


Jacques Delille