LE NOM D'HELLÉBORE
Dans le sombre royaume de la reine Ellébore, chaque élan purpurin né de l'Astre-Splendide revêtait chaque chose d'une lueur de terreur. Ellébore la Toute-Puissante, tout le jour couchée, en son lit diamantin, toute la nuit errant, par ses couloirs dorés, se consumait d'un mal inconnu et cruel.
Une nuit qu'Ellébore, sentant croître en son corps les étranges douleurs allait parmi les ifs de ses somptueux jardins, la lune sembla d'entre les ténèbres jaillir soudain. En le cœur de la Reine un grand effroi se fit. Sans plus que la mort faire de bruit, Ellébore offrit au pâle éclat lunaire sa gorge claire et ses yeux gris.
Ellébore, ma Reine Ellébore, on dit que ton visage est beau, et tes mains cruelles. De quel mal te consumes-tu, Ellébore, ô ma Reine ?
La Reine a levé la tête ; elle est seule et pourtant une voix lui parle.
Ellébore la Fière-Souveraine tremble. Elle est nue sous la lune ; l'herbe d'argent frissonne à peine.
Elle évita dès lors les allées herbées de ses jardins d'or, et ne voulut plus' du soir à l'aurore que fût dit le Grand Nom de la Reine Ellébore.
Sa fille, la tendre enfant, par la nuit apeurée, eut un songe effrayant, vénéneux et pourpré.
« Ellébore, ma Mère Ellébore, ton visage est bon et tes mains belles. Viens rompre ma nuit trouble et solitaire, Ellébore, ô ma Mère. »
Et pour avoir dit avant l'aurore le doux nom d'Ellébore, la tête blonde fut tranchée, répandu le sang héritier. L'Effroi envahit la Reine ; le vent agita, moqueur, sa chevelure d'ombre.
Son père, Très-Vieux Roi, ouit un soir l'Heure sonner, et voulut d'une antique sagesse non encore dévoilée fleurir le cœur fou de sa fille adorée.
« Ellébore, ma fille Ellébore, ton visage est grave et tes mains fidèles. Fasse qu'en cette nuit scintille encore pour moi ton sourire ébloui, Ellébore, ô ma Fille. »
Et la Reine ordonna, la mort dans les yeux, que fût tranchée la tête grise, répandu le sang généreux. L'Horreur envahit la Reine ; le vent s'engouffra, plaintif, dans sa chevelure d'ombre.
Son amant, tiède et nu, un minuit s'étonna de voir son Aimée triste et lasse à son bras. « Ellébore, mon Ange Ellébore, ton visage est absent et tes mains irréelles. Quel est ce refus étrange, Ellébore, ô mon Ange ? »
Et pour obéir aux infrangibles vœux, l'on trancha la tête fière, répandit le sang bleu.
Trois têtes tranchées, trois fois le sang répandu, Ellébore éperdue crut encore au danger. Dérogeant à ses ordres, elle alla voir se tordre, dans les Ténèbres et le Vent, la lune et l'herbe d'argent.
Ellébore, ma Reine Ellébore, ton visage fut beau, mais tes mains cruelles Quel fut le mal qui te rongea, Ellébore, ô ma Reine ?
Et la Reine, les yeux clos, penche un peu la tête. « Il fut le Mal-même, qui dès la première nuit s'empara de mon âme, il fut, oui, le Mal-même, qui me fit aimer les âmes errantes, qui me fit désirer les corps disparus. Il fut, oui, le Mal-même qui me fait frémir quand j'entends son nom, son nom trois fois maudit, je l'entends qui m'implore, car trois fois meurtrier, entre soir et aurore, il est le Nom-même, Nom damné d'Ellébore. »
Gaëlle Boutet
ET SI L'« OLIVIER » ÉTAIT UN HOMME ?
Et si l’« Olivier » était un homme,
ne serait-il pas le meilleur d’entre nous ?
Et si jeune silhouette au tronc filiforme,
vieillie alors tortueuse, était-ce vous ?
Arbre de vie symbole de liberté,
Épris de Lumière, résilient à merveille,
En ton cœur respire la fraternité,
Un idéal de paix auquel tout sage veille.
Bénie et coriace, ta verdoyante ramure,
Accueille joie et peine dans son armure,
À l’aube, au crépuscule, à la bonne heure !
Même envahi par l’incandescente flamme,
Même entaillé par la perfide lame,
Ton âme, elle, pour l’éternité demeure.
Thibaut Keutchayan
LA NORMANDIE
Par une claire matinée de mai
Que la pluie a épargnée
On va de Vernon à Pacy
Apprendre la Normandie
Par une petite route dans la forêt
Qui serpente entre arbres et prairies
Des haies touffues et fleuries
Le soleil danse dans les feuillées
Sur tous ces verts en harmonie
Le ciel bleu et blanc nous sourit
On ne peut qu’être ébloui
Dans un bruit d’ailes froissées
S’envole un oiseau effarouché
On entend des pépiements dans les fourrés
On laisse passer le temps
On écoute le silence apaisant
Puis on retrouve Vernon
La Seine qui nous attend
Les bateaux amarrés aux pontons
Les cygnes, les canards, le vent léger
Les allées aux arbres si bien taillés
Tous en parade alignés
Tout nous incite à musarder
En se récitant quelques vers de Lucie
La poétesse qui glorifiait la Normandie
Herbagère, éclatante et mouillée
Qu’on est en train d’apprendre à aimer.
Marie-Thérèse Brun-Chabert