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Comme beaucoup d'ados, j'ai écrit ce qu'il me semblait être des poèmes. Puis un de mes instituteurs en surprit sous le couvercle de mon pupitre, les jugea et entreprit de m'enseigner cet art d'arranger les mots et créer des rythmes. Il me fit découvrir Du Bellay, Malherbe, et bientôt Mallarmé. Et tellement d'autres pour le plaisir de lire. Et pour le plaisir d'écrire ? Cela me tient encore, mon activité professionnelle m'y ayant beaucoup aidé.
Après un premier métier comme infirmier (5 ans) en Nouvelle Calédonie retour en métropole. Licence de Lettres (préparation d'une maîtrise sur Musset). Libraire (42 ans, dont vendeur, responsable, directeur, chef d'entreprise 28 ans à Nice). Candidat à divers concours de poésie (1e prix au printemps des poètes de 2013) et de nouvelles (2e prix, 1er prix, prix du jury). Récipiendaire des Palmes académiques.

Le poème « Les Rêves » présenté ci-dessous est un extrait du nouveau livre de poésie de Georges Bodereau intitulé Mes nuits et les jours. Il est publié aux Éditions Jets d'encre et en vente ici

     AURORE, OU LA TRINITÉ DU BONHEUR

L’archet vole, s’enroule en la main de l’artiste.
Son thrène se lamente et le violon gémit,
Pénètre tous les sens, ainsi que l’âme triste
Lorsqu’au tréfonds du coeur la musique frémit.
L’amitié, c’est le beau que prolongent les larmes ;
Un geste de tendresse et c’est l’instant heureux ;
Même quand le vent siffle en brandissant ses armes
L’hiver s’est effacé dans l’acte chaleureux.
Et s’en vient le printemps. Adieu, mélancolie !
Le ciel limpide est bleu sur le musée ouvert.
De son cadre sculpté la trop pure Ophélie
Combat, pour son destin, son délire souffert.
Puis Aurore poursuit gaîment ses découvertes.
Elle apprécie aux doigts la Diane en son repos ;
Déchiffre mot à mot, sur les stèles offertes,
Les noms d’une Vénus, d’un César à-propos.
Et dans ce lieu magique où l’histoire se montre
Le hasard qui l’approche est prodige divin.
Ô, quel enchantement, au fil de la rencontre,
Ces regards scintillants qui seront un levain !
C’est l’amour qui se dit en ce palais de Flore,
Léger comme un zéphyr, comme une éternité,
Et qui plane, et qui vole en flot multicolore
Telle une toison d’or voguant en liberté.
Un parterre ébloui quand le violon explose,
Des yeux resplendissant par Mozart éclairés,
La mer infiniment aux roulis éthérés :
Ainsi naît le bonheur en une apothéose !


Georges Bodereau (février 2023)



     COMPTINE POUR NOËL

Saisons, saisons : fatal cortège.
Le temps sur nous glisse, furtif.
Jour bleu, nuit d'or, ciel bas, froid vif,
Soleil ou pluie, ou vent, ou neige :
    C'est Noël
    Éternel.

Il nous faudrait garder la chambre,
Hou, là ! Noël est en décembre.
    Ferait froid
    Sans le toit.

Ce soir, tout doux, le temps s'arrête ;
Le temps d'allumer dans les yeux
Le scintillement merveilleux
Qui met dans le cœur tant de fête.
    C'est Noël,
    Myrrhe et miel.

Il vous faut voir, la lèvre sèche,
Les plus petits devant la crèche.
    N'ont pas froid
    Sous le toit.

Communions, faisons la ronde,
Pleurons, rions, chantons en chœur.
Par la pensée et par le cœur,
Portons ce bonheur par le monde.
    Beau Noël
    Vient du ciel.

Il nous faut suivre cette voie
D'amour, de paix, et l'âme en joie.
    Tout là-haut
    Il fait chaud.

Printemps constellé de lumière,
Été tremblant sous le soleil,
Automne d'or et de vermeil,
Hiver qui bruit en la chaumière,
    Froid ou chaud
    Peu me chaut.

Il faut qu'au temps on s'accommode.
Sous les climats qu'il inféode,
    C'est Noël
    Éternel.


Georges Bodereau (1980)
Extrait de La Naissance du soleil, Édition Jets d'Encre, 2015



     L'ÂME DES ARBRES

En meurtrissant mon cœur, la vie a fui mon âme.
J'envie, en la forêt, les arbres souverains,
Leurs chants en canopée et en sous-bois leur brame,
Et leur sérénité qu'induisent les refrains.
Voyez le chêne immense à l'âge millénaire.
Ses bras de mansuétude à l'entour étendus,
Dais sculpté dans l'azur pour un roi débonnaire,
À son âme justice et respect suspendus.
L'orme au feuillage gras sur son oulmière droite,
En inventeur de haire est d'esprit contourné.
Le sapin taciturne est dans sa clue étroite
Triste au milieu des siens, au deuil abandonné.
Ses torches bien dressées comme des réverbères
Ouvrent au marronnier sa voie au boulevard.
Au milieu des taillis où s'entassent les stères
Tremble du peuplier le feuillage bavard.
Chacun se voit selon les élans de son âme.
Ainsi l'art à façon du réservé bouillard ;
L'hiver d'eucalyptus qui tousse et qui desquame,
Découvrant sa peau nue au côté du fayard.
Ah ! l'élégance en marche, agile de droiture,
Du hêtre en sa futaie élancé vers le ciel !
Vivants émancipés, richesse de nature,
Ils sont de la forêt le corps et l'essentiel.
Car ils sont recéleurs d'une émotion commune.
Le tilleul familier sait calmer les ardeurs,
Quand il faudrait dormir, que suscite la lune.
Et quand le saule est triste il verse quelques pleurs.
Hélas ! n'ai pu trouver l'oiseau bleu de mon rêve.
J'ai consulté Vénus, les Héliades, Saint-Louis :
Leur âme est dans le cœur de l'arbre et dans la sève
Qui garde au fond de soi tous les secrets enfouis.


Georges Bodereau (Juin 2016)
Extrait de L'Empreinte du temps, Édition Jets d'encre, 2017



     L'INSTANT DES DIEUX

Son ventre qui se frotte à mon ventre qui saute
Font monter à mon front quelques perles d'argent.
En allégeance, alors, à son corps exigeant,
Son vestibule attend la visite de l'hôte.

Quand il arrive enfin, débridé, tête haute,
Comme un fier mamelon de femme de sergent,
Il entre en frémissant, fébrile, diligent,
Et explore l'endroit ainsi qu'un astronaute.

Mon front, pris par le feu, s'est chargé de couleurs,
Et mes yeux révulsés laissent couler des pleurs.
C'était l'instant des dieux ; c'est une apothéose !

Quant à la fin son corps s'éloignera du mien,
Dans la sérénité d'un silence olympien,
Je garderai son goût et l'odeur de sa rose.


Georges Bodereau (Février 2020)
Extrait de Requiescat in pace, Édition Jets d'Encre



     LA TOURTERELLE EST TRISTE

Comme la tourterelle attend fidèlement
Qu’à son nid conjugal son époux s’en revienne,
Anxieuse elle est là qui guette son amant.
N’avait-il pas promis dans l’aurore obsidienne
D’être enfin de retour avant le prochain soir ?
Et voilà que déjà s’achève la semaine
Dont les nuits l’ont plongée en un grand désespoir.
Son souvenir la voit en sa toge romaine.

En femme passionnée, amoureuse et martyr,
Elle l’avait troublé dans le rôle tragique.
Il l’avait attendue avant que de partir.
Et elle, dans l’instant, fulgurance magique,
Le voit comme l’objet que son cœur attendait.
Ce sont dès lors les chants des hôtes de la flore,
Et les parfums de l’onde et le vent farfadet
Qui subliment les sens que le désir explore.

Ensemble ils ont repris le livre de latin ;
Ont rapproché, de fait, Corneille et Tite Live.
La vie a quelquefois, truchement d’un destin
Où s’attache la mort, une fin élative…
Ils ont vécu l’amour, l’heure du rossignol,
Le silence et l’ivresse, et les phrases tronquées.
L’instant était sans heure et l’heure sans licol,
Les nuits blanches parfois et les âmes traquées.

Le temps est une humeur. Le passé, l’aujourd’hui
Ne coulent de concert. Trop d’affronts à la joie,
Trop de monotonie étalant son ennui
Eurent raison de lui sans qu’il eut d’autre voie.
La voici désormais abandonnée au sort.
La nature a tranché. Favorable à l’outrage
Elle peut, au supplice, y ajouter la mort.
Un cœur ainsi rongé survit-il à la rage ?

Dans l’action, elle va se donner sans fléchir.
Véhémence et fureur au ton imprécatoire
Se verront, de rancœur, en sa bouche surgir.
Plus de mots lénitifs : un cri de purgatoire.
« Ô, Dieu cruel, pourquoi ? Voyez-vous pas mes yeux ! »
Sans ces profonds soupirs dont l’âme trop s’alarme.
Sous la lune blafarde elle parlait aux cieux :
« Je l’aimai, l’aimerai, je l’aime comme un charme ! »

La tourterelle est triste et sent venir la fin.
Elle n’a plus le goût des chansons langoureuses ;
De l’être disparu qu’elle attendit en vain
Reste le souvenir de leurs saisons heureuses…
Pourquoi donc se vêtir d’un collet si charmant ?
Pourquoi continuer à psalmodier sa peine ?
La vie offre ses fleurs par la main d’un amant
Et il en est en nombre en cette vaste plaine.


Georges Bodereau (Mai 2023)
Extrait de Mes nuits et les jours, Édition Jets d'Encre



     LE CHÊNE ET LE ROSEAU

L’arbre au bûcheron dit : J’ai de ma force usé,
Dirais-je trop longtemps ? au-delà de mes forces.
J’ai cru bon protéger le buisson abusé ;
L’arbrisseau délicat pliant ses hampes torses,
Et le roseau fluet que l’on a dit pensant.
Je n’imaginais pas que cela fût un crime,
Ni que de son palais le chêne tout puissant
Pût déconsidérer ma vertu légitime…
J’ai connu ses longs bras à l’entour étendus
Empreints de bienveillance et d’âge millénaire ;
Son âme de justice et respect suspendus
En faisait sous l’azur un prince débonnaire.
Tu dus en fréquenter, ô, humble bûcheron,
De mes semblables nus, modestes et fragiles.
Protecteurs innocents des forêts le fleuron
Nés de la main de Dieu, pétris de ses argiles.
Combien je les enviai ces frères souverains ;
Leurs chants en canopée et en sous-bois leur brame.
Or, je laisse aujourd’hui l’étendard des chagrins
Brandi sur la clairière où flotte l’oriflamme.
Car le somptueux chêne a trompé notre espoir.
Solitude ou orgueil ? Intempérance ? Ivresse ?
Son ombre veut châtier la pénombre du soir.
Je le voyais en roi de taille et de sagesse.


Georges Bodereau (février 2025)



     LE MAUVAIS RÊVE

Dans l'ombre de la nuit si profonde et si dense
Apparaît tout à coup, surgissant du néant,
Sous de terribles traits quelque monstre géant
Qui vient souiller la paix, réduire le silence.
Ce sont des globes creux emplis d'incandescence ;
Une gueule infinie, un corridor béant ;
Et sous un corps énorme un pied-bot suppléant.
En mes yeux cette horreur : mauvais rêve ou démence.
Un réveil bienheureux : l'aurore vient de loin.
Un horizon en feu précède le témoin
Qui transcende la nuit lorsque le jour se lève.
Tout est là désormais dans le blême matin.
Plus d'infâme dragon pour tenter mon destin.
La sérénité seule assume la relève.


Georges Bodereau (1964-1966)
Extrait de La Naissance du soleil, Édition Jets d'Encre, 2015



     LE NID DE L'ALCYON

La mer était sereine au temps alcyonnaire.
L'oiseau marin, pourtant, avait un air soucieux.
Dans les fonds, tout à coup, horde catilinaire,
Des tritons s'émouvaient de le voir silencieux.
Il s'approche du bord, l'agrippe, et qui l'aimante.
Le navire a trompé ; ce sera le départ.
« Pourquoi partir ? dit-il. Pourquoi, naïve amante,
Quitter ton caillou d'or pour vivre le hasard ? »
Il pense à son nid rose et aux abîmes sombres.
Il a déjà vécu semblables lendemains,
Et voudrait éviter, dans l'empire des ombres,
Le séjour infernal, grâce à ses longues mains,
À celle qui s'enfuit de la prison de l'île.
« La Métropole est loin. Crois-tu qu'il t'y attend ?
Ne crains-tu pas, désert, l'immense quai hostile ? »
Ainsi dit-il encor pleurant, se lamentant.
Il n'est rien, il n'est dieux qui peuvent quelque chose
Face au dessein hardi dominé par l'amour.
Si la fiancée omet la voix qui s'interpose,
Les yeux fermés subit les chants du troubadour.
Et le nid de l'oiseau ballotté comme une île
Abandonnée au gré de la houle et du vent,
Suivra les pas émus, lointains de la Sicile,
De la femme trahie au cœur fier et fervent.


Georges Bodereau (Juin 2018)
Extrait de Destinée de la chaise bleue, Édition Jets d'Encre, 2019



     LES CATHÉDRALES

Notre-Dame, Burgos, Cantorbéry, Saint-Pierre :
Richesses de couleurs flamboyant aux vitraux :
Cathédrales du monde aux cimes de lumière,
Jusqu'en les fonds marins où brillent les coraux.

Des yeux déjà grandis par leur luminescence
Ils empreignent sans fin la pupille et l'iris.
À l'abord des récifs, myriade inflorescence,
Jaunes, verts, blancs, carmins, violets ou myosotis...

Ils sont dans le courant, haut lieu du Capricorne.
Ils respirent de l'onde et se gorgent de sel.
Frémissants polypiers dont la barrière s'orne ,
Ils sont d'immensité le scintillant recel.

Le plongeur en apnée assis sous les portiques,
Voit vibrer, ébloui, les voraces cristaux.
Leur ballet est pareil aux convulsions mystiques
Et aux trémulations des conteurs orientaux.

La beauté de ces lieux, qui pourra jamais dire ?
Les rivages bleutés autour des atolls blancs ;
Les limpides lagons et leurs yeux de lampyre ;
Les feux des arcs-en-ciel sous le soleil tremblants.

Alvéoles ouverts réunis en dédales,
Sacrilège serait s'ils éteignaient la mer.
Elles sont, subjuguant, ces vastes cathédrales,
Ainsi qu'au firmament les étoiles l'éther.


Georges Bodereau (Août 2014)



     LES FLOTS BLEUS

Ô, mer, quand tes flots bleus se meurent sur la grève ;
Que leurs rouleaux spumeux expirent à mes pieds ;
Sur ta rive, esseulé, qui m’enchaîne sans trêve,
Je contemple ses bords, doux songeur en nu-pieds.
L’espace est embaumé des parfums de la brise
Qui portent jusqu’au cœur les encens de l’amour.
Le ciel, déjà voilé par une teinte grise,
Dérobe à mes regards les feux mourants du jour.
Parfois un léger bruit fait tressaillir la rive :
Ils nous viennent de loin ces chants des matelots
Qui mêlent les accords de leur voix fugitive
Aux faibles sons furtifs du zéphyr sur les flots.
Alors, tournant mes yeux vers la terre lointaine,
Vers ses bords où souvent s’envolent mes désirs,
Le cœur ému, brisé, qu’afflige tant de peine,
Quand tremble ma poitrine au lourd poids des soupirs,
J’écoute. Les flots bleus à mon âme captive
Transportent une voix qui me parle si bas
Que je pleure, en prêtant une oreille attentive
À ces sons frissonnants que je ne saisis pas !
Et contre moi mon cœur frémit dans l’espérance,
Car j’ai cru que des pleurs répondaient à mes pleurs.
D’un rêve de bonheur je berce ma souffrance,
Et pour l’exorciser jette en la mer des fleurs.


Georges Bodereau
Extrait de Mes nuits et les jours, Édition Jets d'Encre, 2024



     LES RÊVES

Ô, mondes fabuleux qui peuplèrent mes rêves :
Vous les dieux, les héros, les Dianes, les Vénus,
Vous avez pu lever sur ma tête vos glaives
Et trahir de mes sens les soupirs ingénus ;

Vous avez rendu fous, ce jusqu'à la démence,
Et mon âme et mon cœur que vous avez surpris.
Le temps ne connaît ni justice, ni clémence :
Je survivrai, s'il faut, sur un tas de débris.

Déjà, je ne vois plus que le dragon de Lerne
Écartelé, sanglant dans son ultime ébat,
Les yeux hagards et las qu'une lumière terne
Me découvre sans chefs que trancha son combat.

J'ai beaucoup contemplé au cours de mes errances,
Toujours clair, vif et haut, et toujours lumineux,
Le ciel s'appropriant des saisons les nuances,
Le soleil flamboyant, le chatoiement des yeux.

Or, aujourd'hui je crains que la mort du Centaure,
Annonciatrice, enfin, de celle du héros,
Ne vienne en mon esprit battre la métaphore
Et mon rêve troubler en délires pluraux...

Quand auront disparu tous les lions de Némée,
Les mythes et les dieux dont le destin me suit,
Je pourrai retrouver de mon cœur tant aimée
Celle que je perdis et qui hante ma nuit.

Et je retrouverai les roses de ma mère ;
Les couleurs du jardin et les flores sans dard ;
Sur l'horizon lointain un soleil éphémère ;
Les coraux du lagon et toutes œuvres d'art.

Ma douleur sera bonne, et mes larmes heureuses
Feront de mon sommeil des rêves émouvants.
Plus de monstre pervers, de figures hideuses :
Rien que le doux zéphyr favorable aux doux vents.


Georges Bodereau (octobre 2023)



     MON VIEUX CAMARADE

Or, te voilà parti, toi, mon vieux camarade.
Au hasard d’un parcours, je l'apprends aujourd'hui.
Ton nom sur le granit où ton portrait parade
Rappelle à mon regard combien le temps a fui.
Et ton regard d'ici rappelle à ma mémoire
Cet air que l'insolence avait de malicieux …
Sur nos cycles sans phare, infracteurs de nuit noire,
Nous revenions du bal. Au gendarme, audacieux
Et innocent, tu dis, l’œil vif comme une bille :
"Pourquoi, mon brigadier, voulez-vous qu'un falot
Remplace les éclairs dont tout votre esprit brille ?"
D'un signe nous filions tous satisfaits qu'un mot
Eut pu rendre à chacun sa liberté de rire.
Jamais je n'eusse eu, seul, le toupet qu'il fallut.
Tu marquais l'assurance en tous les cas pour dire.
Ainsi, le plus souvent, ton discours prévalut.
Cependant, j'étais là pour asseoir l'équilibre
(L'impertinence outrée à trop montrer son trait
Peut chauffer les esprits en tirant sur la fibre),
Étant, à tes côtés, le gars sobre et discret.

Dans nos complicités, pas de didascalie.
Des propos spontanés ; rien que de l'impromptu.
Et lorsque nous allions de Loué jusqu'à Conlie,
Tout fonçant dans le soir - Ami, t'en souviens-tu ?
Nous passions d'un village à tel autre village,
Nous arrêtant parfois en quelque estaminet.
Nous y buvions un verre, et après le breuvage,
Le cœur faisant la fête au joyeux cabernet,
Nous remettions en selle à travers la campagne.
Nous en avons croisés, armés d'un long pédum,
Des paysans matois et leur fine compagne !
Et il y eut le temps du grand référendum ;
Les affiches collées dès le lever de lune ;
Ma mère, pour la colle, allayant l'amidon ;
Nos disputes parfois, au cours de la nuit brune,
Avec quelque opposant piquant tel un chardon …
Et sous l'or du soleil, des moissons corollaire,
Nous avons traversé les étés de loisir.
Me voici par-devant la pierre tumulaire
Sous quoi, donc, tu pourras l'éternité gésir.


Georges Bodereau (Août 2019)
Extrait du 4e volume des oeuvres poétiques de Georges Bodereau.
Éditions Jets d'Encre. ISBN 9782355234064




     SAUVAGES, DONC LIBRES

Coquelicots, bleuets, pavots et liserons,
Trèfle incarnat, iris, narcisses et galanthes :
Un jour je conterai vos couleurs éclatantes,
Vivaces arcs-en-ciel et des prés napperons.

Et vous thymus, jasmin, lavande et mousserons,
Serpolet, romarin, angéliques et menthes,
Vous exhalez sans fin vos senteurs enivrantes.
Narines en éveil, yeux mi-clos : respirons !

Près des vulpins bleutés et pampes de fléoles
Fléchissent des gramens les temples d'herbes folles,
Dans le frissonnement des rayons de l'été.

Vous dirais-je jamais, sauvages que j'envie,
Combien vous égayez, delà de la prairie,
Avec le papillon légat de liberté.


Georges Bodereau (Novembre 2013)



     UN HOMME MEURT

Pas de bruit alentour de la maison enclose.
Encor luit le soleil que le jour est blafard.
La mère est au chevet de l'enfant qui repose.
On attend le moment ; il se fait déjà tard.
La chambre est tapissée en rose et en bleu pâle.
Le nourrisson est beau quand il sourit et dort.
Avant qu'il en changeât les couleurs, sa rivale
Le saisissait au col disant : "Je suis la mort."
Le soir qui va tomber tamise la lumière ;
On marche à pas feutrés, étouffe des sanglots.
Serrés autour du lit on dit une prière :
Murmures, chuchotis, et volets toujours clos.
Combien de pleurs déjà dut essuyer la mère ?
Et les autres combien ? Les compagnes, les sœurs ?
Oh ! qu'il aima pourtant ! Mais la vie est chimère
Lorsque son corps multiple abrite plusieurs cœurs.
La femme qui l'a tué déverse aussi ses larmes
Sur le drap de la couche où s'étend le faux-jour.
Soumises au destin, les jalouses alarmes
Surmontent les tourments que remplace l'amour.
L'homme voudrait s'asseoir ; même sourire encore.
À peine s'il soulève un visage blêmi.
Espère-t-il la nuit ? Elle attendra l'aurore :
Après que l'horizon le linceul eut vomi.
L'orgueil, cet insensé, serait son espérance.
L'amour, mon Dieu, fatal, l'objet qui fait gémir.
Vous l'avez donc trahi jusqu'à l'intolérance !
Il va fermer les yeux : laissez-le s'endormir.


Georges Bodereau (1964-1966/2014)
Extrait de La Naissance du soleil, Édition Jets d'Encre