L'ÂME DES ARBRES
En meurtrissant mon cœur, la vie a fui mon âme.
J'envie, en la forêt, les arbres souverains,
Leurs chants en canopée et en sous-bois leur brame,
Et leur sérénité qu'induisent les refrains.
Voyez le chêne immense à l'âge millénaire.
Ses bras de mansuétude à l'entour étendus,
Dais sculpté dans l'azur pour un roi débonnaire,
À son âme justice et respect suspendus.
L'orme au feuillage gras sur son oulmière droite,
En inventeur de haire est d'esprit contourné.
Le sapin taciturne est dans sa clue étroite
Triste au milieu des siens, au deuil abandonné.
Ses torches bien dressées comme des réverbères
Ouvrent au marronnier sa voie au boulevard.
Au milieu des taillis où s'entassent les stères
Tremble du peuplier le feuillage bavard.
Chacun se voit selon les élans de son âme.
Ainsi l'art à façon du réservé bouillard ;
L'hiver d'eucalyptus qui tousse et qui desquame,
Découvrant sa peau nue au côté du fayard.
Ah ! l'élégance en marche, agile de droiture,
Du hêtre en sa futaie élancé vers le ciel !
Vivants émancipés, richesse de nature,
Ils sont de la forêt le corps et l'essentiel.
Car ils sont recéleurs d'une émotion commune.
Le tilleul familier sait calmer les ardeurs,
Quand il faudrait dormir, que suscite la lune.
Et quand le saule est triste il verse quelques pleurs.
Hélas ! n'ai pu trouver l'oiseau bleu de mon rêve.
J'ai consulté Vénus, les Héliades, Saint-Louis :
Leur âme est dans le cœur de l'arbre et dans la sève
Qui garde au fond de soi tous les secrets enfouis.
Georges Bodereau (Juin 2016)
Extrait de L'Empreinte du temps, Édition Jets d'encre, 2017
LE CHÊNE ET LE ROSEAU
L’arbre au bûcheron dit : J’ai de ma force usé,
Dirais-je trop longtemps ? au-delà de mes forces.
J’ai cru bon protéger le buisson abusé ;
L’arbrisseau délicat pliant ses hampes torses,
Et le roseau fluet que l’on a dit pensant.
Je n’imaginais pas que cela fût un crime,
Ni que de son palais le chêne tout puissant
Pût déconsidérer ma vertu légitime…
J’ai connu ses longs bras à l’entour étendus
Empreints de bienveillance et d’âge millénaire ;
Son âme de justice et respect suspendus
En faisait sous l’azur un prince débonnaire.
Tu dus en fréquenter, ô, humble bûcheron,
De mes semblables nus, modestes et fragiles.
Protecteurs innocents des forêts le fleuron
Nés de la main de Dieu, pétris de ses argiles.
Combien je les enviai ces frères souverains ;
Leurs chants en canopée et en sous-bois leur brame.
Or, je laisse aujourd’hui l’étendard des chagrins
Brandi sur la clairière où flotte l’oriflamme.
Car le somptueux chêne a trompé notre espoir.
Solitude ou orgueil ? Intempérance ? Ivresse ?
Son ombre veut châtier la pénombre du soir.
Je le voyais en roi de taille et de sagesse.
Georges Bodereau (février 2025)
SAUVAGES, DONC LIBRES
Coquelicots, bleuets, pavots et liserons,
Trèfle incarnat, iris, narcisses et galanthes :
Un jour je conterai vos couleurs éclatantes,
Vivaces arcs-en-ciel et des prés napperons.
Et vous thymus, jasmin, lavande et mousserons,
Serpolet, romarin, angéliques et menthes,
Vous exhalez sans fin vos senteurs enivrantes.
Narines en éveil, yeux mi-clos : respirons !
Près des vulpins bleutés et pampes de fléoles
Fléchissent des gramens les temples d'herbes folles,
Dans le frissonnement des rayons de l'été.
Vous dirais-je jamais, sauvages que j'envie,
Combien vous égayez, delà de la prairie,
Avec le papillon légat de liberté.
Georges Bodereau (Novembre 2013)
BELLET
Sur une colline au-dessus de la ville de Nice,
Dans un sol en poudingue riche en sable et silice
Au milieu d’oliviers que tous les dieux bénissent,
La vigne apparait pleine d’ardeur et de malice.
Le soleil et l’eau lui apportent sa nourriture
Pour s’épanouir tel un joyau de la nature,
Soutenu par le vigneron qui travaille dur
Et ne ménage ni sa peine ni ses courbatures.
Parmi tous les cépages présents sur nos coteaux :
Le Braquet, la Folle noire, le Grenache, le Cinsault
Et le Rolle qu’on appelle aussi Vermentino
Produiront des blancs, rouges et rosés magistraux !
Tout au long de l’année, le plant est bichonné :
Au cœur de l’hiver il se fait faire une beauté,
Puis progressivement du printemps à l’été
Les cépages affinent leur belle personnalité.
À l’automne, les feuilles ont un joli ton doré,
Les plants sont décorés de beaux raisins sucrés.
Le vendangeur infatigable peut opérer
Et ramener jusqu’à la cave sa belle livrée.
Le viticulteur devient alors vigneron.
Soucieux de savoir ce que les baies donneront,
Directement en cuve ou pressées, c’est selon.
Dans la cave silencieuse les levures agiront.
Magicien qui transforme le sucre en alcool,
Le vigneron niçois maitrise l’art vinicole.
Il produit un vin dont les connaisseurs raffolent.
C’est le meilleur du monde, croyez-moi sur parole !
Michel Bordes
LE CHAMP DU FOUDans mon jardin virtuel, Je sens mille couleurs. Je vis dans l’irréel, Et vois beaucoup d’odeurs.
Je cueille une aubépine Aux vertus bénéfiques, Et me pique aux épines D’un rosier maléfique.
Muni d’un arrosoir Je nourris mes toxiques : La belladone noire, Le gui et les colchiques.
Mon carré de ricins Et de ciguës tachetées, Cultivés à dessein Pour parfumer mon thé.
| | Puis dans mon potager, Aconit, datura Sont à leur apogée Pour mon prochain repas.
Avant de me lancer Dans ce plat raffiné Aux couleurs violacées, Je m’en vais musarder.
Je suis un peu rêveur, Je laisse aller mes pas, Et découvre une fleur Que je ne connais pas.
Elle me prend dans ses bras, Et puis elle m’engloutit. C’est une Drosera Qui a bon appétit…
|
Michel Bordes CHANSON DU SECRET DE L'OLIVIER
Sur l’air de Georges Brassens chantant Aragon (Il n’y a pas d’amour heureux)
Magicien ignorant toute cause première,
Il défie l’hiver de médailles conservées,
Soufre le printemps de ses fleurettes poudrées,
Mûrit en automne sa récolte fruitière
Et transforme l’eau en principe de lumière ! (chanté : Et il transforme l’eau en princip’ de lumière)
L’olivier, l’arbre de la paix !
Il puise, enraciné en terre nourricière,
La sève des rameaux, par les vents agités
Sous la lune, en vagues aux reflets argentés.
L’huile de ses fruits verts ou noirs ou violets,
En lampe, en flacon, le promeut en vivandière.
L’arbre de la prospérité !
S’enchaîne dans le temps en longue carrière,
(chanté : Il s’enchaîn’ dans le temps en longue carri-ère)
Renaît des souches, multiplié des rejets.
Des olives pressées par la pierre meulière,
Surgit, sang de soleil, la flaque d’oint dorée,
Feu de l’Antiquité, éclairant la pensée.
L’arbre de l’immortalité !
De ces quatre éléments qui constituent le monde,
Un composant lipide il ajoute à la liste.
L’athanor de la vie en fait un alchimiste !
Dans le mitan du lit la rivière est féconde,
Par la fusion des corps l’Amour est consacré,
L’arbre de vie régénéré !
Du char solaire volant une plume d’aile,
En terre Prométhée boutura l’étincelle.
D’un olivier vivant, Ulysse a fabriqué
Le lit nuptial où Pénélope nostalgique,
Patiemment filait l’arbre généalogique.
(chanté : Pati-em-ment filait, l’arbr’ généalogique)
L’Odyssée chante l’olivier,
L’arbre de Prométhée !
Christian Cariou (2012)
LES JARDINS CHANT II
Ainsi que les couleurs et les formes amies,
Connaissez les couleurs, les formes ennemies.
Le frêne aux longs rameaux dans les airs élancés
Repousserait le saule aux longs rameaux baissés ;
Le vert du peuplier combat celui du chêne :
Mais l’art industrieux peut adoucir leur haine,
Et, de leur union médiateur heureux,
Un arbre mitoyen les concilie entre eux.
Ainsi, par une teinte avec art assortie,
Vernet de deux couleurs éteint l'antipathie.
Tu connus ce secret, ô toi dont le coteau,
Dont la verte colline offre un si doux tableau,
Qui, des bois par degrés nuançant la verdure,
Surpassas Le Lorrain et vainquis la nature. [...]
Observez comme lui tous ces différents verts,
Plus sombres ou plus gais, plus foncés ou plus clairs.
Remarquez-les surtout lorsque la pâle automne,
Près de la voir flétrir, embellit sa couronne ;
Que de variété ! que de pompe et d'éclat !
Le pourpre, l'orangé, l'opale, l'incarnat,
De leurs riches couleurs étalent l'abondance.
Hélas ! tout cet éclat marque leur décadence.
Tel est le sort commun. Bientôt les aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons
De moment en moment la feuille sur la terre
En tombant interrompt le rêveur solitaire.
Mais ces ruines même ont pour moi des attraits.
Là, si mon cœur nourrit quelques profonds regrets,
Si quelque souvenir vint rouvrir ma blessure,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la nature ;
De ces bois desséchés, de ces rameaux flétris,
Seul, errant, je me plais à fouler les débris.
Ils sont passés les jours d'ivresse et de folie :
Viens, je me livre à toi, tendre mélancolie ;
Viens, non le front chargé de nuages affreux
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux,
Mais l'œil demi-voilé, mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne ;
Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeux
Tout prêts à s’humecter de pleurs délicieux.
Jacques Delille
LES JARDINS CHANT III
Persuadez aux yeux que d'un coup de baguette
Une Fée, en passant, s'est fait cette retraite.
Tel j'ai vu de Saint-Cloud le bocage enchanteur ;
L'œil de son jet hardi mesure la hauteur ;
Aux eaux qui sur les eaux retombent et bondissent,
Les bassins, les bosquets, les grottes applaudissent ;
Le gazon est plus vert, l'air plus frais ; des oiseaux
Le chant s'anime au bruit de la chute des eaux,
Et les bois, inclinant leurs têtes arrosées,
Semblent s'épanouir à ces douces rosées.
Plus simple, plus champêtre, et non moins belle aux yeux,
La cascade ornera de plus sauvages lieux.
De près est admirée, et de loin entendue
Cette eau toujours tombante et toujours suspendue ;
Variée, imposante, elle anime à la fois
Les rochers et la terre, et les eaux et les bois.
Employez donc cet art ; mais loin l'architecture
De ces tristes gradins, où, tombant en mesure,
D'un mouvement égal les flots précipités
Jusque dans leur fureur marchent à pas comptés.
La variété seule a le droit de vous plaire.
La cascade d'ailleurs a plus d'un caractère.
Il faut choisir. Tantôt d'un cours tumultueux
L'eau se précipitant dans son lit tortueux
Court, tombe et rejaillit, retombe, écume et gronde ;
Tantôt avec lenteur développant son onde,
Sans colère, sans bruit, un ruisseau doux et pur
S'épanche, se déploie en un voile d'azur.
L'œil aime à contempler ces frais amphithéâtres,
Et l'or des feux du jour sur les nappes bleuâtres,
Et le noir des rochers, et le vert des roseaux,
Et l'éclat argenté de l'écume des eaux.
Consultez donc l'effet que votre art veut produire ;
Et ces flots, toujours prompts à se laisser conduire,
Vont vous offrir, plus lents ou plus impétueux,
Des tableaux gais ou fiers, grands ou voluptueux ;
Tableaux toujours puissants ! Eh ! qui n'a pas de l'onde
Éprouvé sur son cœur l'impression profonde ?
Jacques Delille
L'EMPREINTE
Je m’appuierai si bien et si fort à la vie,
D’une si rude étreinte et d’un tel serrement
Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s’échauffera de mon enlacement.
La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera dans la route errante de son eau
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.
Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir
Et la cigale assise aux branches de l’épine
Fera crier le cri strident de mon désir.
Dans les champs printaniers la verdure nouvelle
Et le gazon touffu sur les bords des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.
La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l’air ma persistante odeur
Et sur l’abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon cœur.
Anna de Noailles
ET SI L'« OLIVIER » ÉTAIT UN HOMME ?
Et si l’« Olivier » était un homme,
ne serait-il pas le meilleur d’entre nous ?
Et si jeune silhouette au tronc filiforme,
vieillie alors tortueuse, était-ce vous ?
Arbre de vie symbole de liberté,
Épris de Lumière, résilient à merveille,
En ton cœur respire la fraternité,
Un idéal de paix auquel tout sage veille.
Bénie et coriace, ta verdoyante ramure,
Accueille joie et peine dans son armure,
À l’aube, au crépuscule, à la bonne heure !
Même envahi par l’incandescente flamme,
Même entaillé par la perfide lame,
Ton âme, elle, pour l’éternité demeure.
Thibaut Keutchayan
LA NORMANDIE
Par une claire matinée de mai
Que la pluie a épargnée
On va de Vernon à Pacy
Apprendre la Normandie
Par une petite route dans la forêt
Qui serpente entre arbres et prairies
Des haies touffues et fleuries
Le soleil danse dans les feuillées
Sur tous ces verts en harmonie
Le ciel bleu et blanc nous sourit
On ne peut qu’être ébloui
Dans un bruit d’ailes froissées
S’envole un oiseau effarouché
On entend des pépiements dans les fourrés
On laisse passer le temps
On écoute le silence apaisant
Puis on retrouve Vernon
La Seine qui nous attend
Les bateaux amarrés aux pontons
Les cygnes, les canards, le vent léger
Les allées aux arbres si bien taillés
Tous en parade alignés
Tout nous incite à musarder
En se récitant quelques vers de Lucie
La poétesse qui glorifiait la Normandie
Herbagère, éclatante et mouillée
Qu’on est en train d’apprendre à aimer.
Marie-Thérèse Brun-Chabert
AUX ARBRES
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme !
Au gré des envieux la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous ! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu !
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence !
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère !
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives !
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt ! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
Victor Hugo (1856)
Les Contemplations
BLUE SYMPHONIE
Je revois la colline qui descend vers la rade
Le bleu des plumbagos ruisselant en cascade
Celui des agapanthes
Bouillonnant à mi-pente
Tout en bas de la mer
L'infini outremer
Et ta robe pervenche
Piquetée de fleurs blanches
Et l'étoile écarlate
Qui sur ton sein éclate.
Claude Nigoul (octobre 2007)
LE TRONC D'ARBRE
Puisque bientôt l'hiver va nous mettre en valeur
Montrons-nous préparés aux offices du bois
Grelots par moins que rien émus à la folie
Effusions à nos dépens cessez ô feuilles
Dont un change d'humeur nous couvre ou nous dépouille
Avec peine par nous sans cesse imaginées
Vous n'êtes déjà plus qu'avec peine croyables
Détache-toi de moi ma trop sincère écorce
Va rejoindre à mes pieds celles des autres siècles
De visages passés masques passés public
Contre moi de ton sort demeurés pour témoins
Tous ont eu comme moi la paume un instant vive
Que par terre et par eau nous voyons déconfits
Bien que de mes vertus je te croie la plus proche
Décède aux lieux communs tu es faite pour eux
Meurs exprès De ton fait déboute le malheur
Démasque volontiers ton volontaire auteur...
Ainsi s'efforce un arbre encore sous l'écorce
A montrer vif ce tronc que parfera la mort.
Francis Ponge
Le parti pris des choses
SENSATION
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud
CIRCONSPECTION
Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous
Sous cet arbre géant où vient mourir la brise
En soupirs inégaux sous la ramure grise
Que caresse le clair de lune blême et doux.
Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux.
Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise
Le bonheur qui s'enfuit et l'amour qui s'épuise,
Et nos cheveux frôlés par l'aile des hiboux.
Oublions d'espérer. Discrète et contenue,
Que l'âme de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
Restons silencieux parmi la paix nocturne :
Il n'est pas bon d'aller troubler dans son sommeil
La nature, ce dieu féroce et taciturne.
Paul Verlaine
LA NATURE ET LA CAMPAGNEOn s’enfonce dans le vert aux mille nuances Par des sentes en descente au milieu de bosquets, Quand un coup de collier selon les circonstances Est demandé pour atteindre de hauts bouquets.
La nature ne nous épargne pas l’effort Ici ou là, que l’on soit randonneur ou pas, À la recherche de source ou de chêne fort Il faut parfois en chemin durcir notre pas.
Mais quel plaisir de découvrir fleurs et oiseaux, Végétaux et animaux, genêts et lézards. Les sentiers ont une âme et les eaux leurs roseaux. La poésie est là, œuvre d’heureux hasards.
Le soleil et la pluie et le vent et les fleurs Échafaudent à l’unisson une vie d’amour Que tout observateur de la nature effleure En évitant l’aveuglement du contre-jour.
Hiboux, chouettes, faucons et autres rapaces, Papillons, cigales, abeilles et autres insectes, Mais aussi les ânes et poules de nos espaces, Constituent ces êtres vivants que l’on respecte.
Et les discrets parfums, les sons et la lumière Habitent notre campagne : la liberté ! Et l’on se plaît à s’imaginer en chaumière Au cœur d’une basse-cour en activité.
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Christian Watine (juin 2023)Photo : Christian Watine NATURE, NOTRE AMIEQuand on est né pour vivre joyeux dans l’air pur, Quand on aime la verdure, le bleu d’azur, Les arbres comme d’amicaux êtres vivants, Dans une harmonie, dans un accord émouvants, Comment ne pas vouloir se lever le matin Tôt pour jouir de ce cher et proche lointain ? Dans la danse langoureuse d’un grand nuage, Ou dans l’écorce d’un chêne vert, une image : Un mouton ? Dieu le Père ? Paréidolie Dans un concert de feuilles. Douce mélodie. Herbes sages, herbes folles, lavande au vent, Ton sol offert est notre complice fervent. Nature, toi qui fais naître les champs de fleurs Pour agrémenter la vie des oiseaux siffleurs, Nature, toi qui par tes pudiques broussailles Nous permet galipettes avant fiançailles, Sache que les vivants te veulent couronnée À chacune des quatre saisons de l’année. Au printemps, cerisiers fleuris et papillons Font surgir princes charmants et cendrillons ; En été, tu nous offres tes pins parasols Et tes nuits douces où l’on s’allonge sur tes sols Tandis que l’automne est un miroitement d’ocre Sous ta pluie nourricière abondante ou médiocre. En hiver, tu revêts tes collines d’hermine Ornant l’aurore d’une souriante mine. La fonte des neiges abreuve prés et prairies Grâce aux rivières comme autant de féeries. Elles renaissent, chantent, et tombent en cascades Quand le terrain propice amène aux bousculades. Un chapelet de jours nouveaux, d’espoirs, de vies Annonce le rêve qui comble nos envies. Quand on est né pour vivre joyeux dans l’air pur, Quand on aime la verdure, le bleu d’azur, Les arbres comme d’amicaux être vivants, Dans une harmonie, dans un accord émouvants, Comment ne pas vouloir se lever le matin Tôt pour jouir de ce cher et proche lointain ?
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Christian Watine (mai 2024)Photo : Christian Watine